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La religion et le culte des ancêtres

La religion et le culte des ancêtres imprégnaient l'ensemble des cultures océaniennes traditionnelles. Toutefois, nous savons bien peu de choses de ces religions. Les rares objets qui ont subsisté aux destructions menées par les missionnaires européens ne représentent que quelques témoignages de ces religions apparemment complexes. Nous devons demeurer vigilants quant à l'interprétation de ces objets dans la mesure où la tradition orale n'a pu transmettre une image fidèle antérieure à la christianisation. En aucun cas nous ne devons généraliser à l'ensemble de l'Océanie, chaque exemple s'inscrivant dans un cadre géographique déterminé.

Bien que vivant dans des univers différents, la structure de la société des hommes et des dieux étaient identiques. Le sentiment religieux était la conséquence d'une vision de l'univers qui reposait sur des mythes et des dieux fondateurs qui influençaient l'organisation humaine. Dans tous les aspects de la vie collective, la relation aux esprits et aux dieux était essentielle. Les liens entre ces deux mondes se concrétisaient dans l'espace et supposaient l'existence de règles très strictes qui dictaient des comportements appropriés. Des notions de sacré, d'interdit, de tabou manifestaient la présence des dieux et imprégnaient des lieux, des objets ou des personnes. Les prêtres qui réglaient les rites et les cérémonies étaient les garants du sacré.

1. - Le culte des ancêtres

Il existait une multitude de dieux ou d'esprits organisés en panthéons complexes et dominés par de grands dieux créateurs. Ces derniers étaient entourés de divinités inférieures et des esprits des défunts. Le culte des ancêtres, sur lequel reposait l'ordre social, donnaient lieu à des pratiques particulières selon les régions. Ces entités pouvaient prendre une forme animale, végétale ou minérale ou se manifester à travers différentes forces de la nature. Elles pouvaient aussi habiter certains objets choisis et créés par l'homme pour les invoquer comme les statuettes korwar en Nouvelle-Guinée.

 

1.1. - Les statuettes korwar en Nouvelle-Guinée*

Les korwar sont de petites statuettes de bois figurant de petits personnages tantôt assis, les bras reposant sur leurs genoux, tantôt debout, tenant devant eux une plaque de bois ajourée sur laquelle se tient parfois un autre petit personnage aux bras levés. Les têtes sont presque toujours disproportionnées par rapport à la taille du corps. Quelques-unes servent d'habitacle à des crânes humains. Ces statuettes étaient très prisées des premiers navigateurs. Les publications des missions officielles de la seconde moitié du XIXe siècle signalent Korwar q'un nouveau korwar est fabriqué par un spécialiste, à la mort des hommes importants. Les traits sont toujours stylisés afin d'indiquer que dorénavant, le mort appartient à un monde où les marques individuelles s'effacent. Plusieurs étapes président à la fabrication d'une nouvelle pièce mais le moment le plus important est celui où l'âme du défunt "accepte" son korwar. Pour cela, un homme se rend sur la tombe du défunt avec le korwar dont il frappe le sol en cadence. Sous l'effet du rythme lancinant, l'homme entre en transe. Il se met à parler. On considère alors que l'esprit du mort s'exprime par sa bouche et que son esprit était présent dans la sculpture. Mais -et plusieurs auteurs insistent sur ce point- l'opération qui consiste à faire migrer l'âme n'est pas facile : on risque l'échec.

D'après d'autres sources, la sculpture est habitée par le défunt tout le temps qu'elle répond aux questions qui lui sont posées. A tout moment important de sa vie, un homme doit s'assurer du consentement de ses ancêtres. Un korwar est un truchement entre le monde des ancêtres et celui des vivants. Mais l'âme du défunt peut quitter la sculpture : les korwar meurent aussi. La sculpture est alors jetée, donnée ou vendue aux étrangers de passage. Toutefois, ces explications paraissent aujourd'hui un peu trop rationnelles. Elles trahissent leur époque, prompte à trouver dans les korwar un des chaînons manquants de l'histoire reconstruite des sentiments religieux. Il était tentant de faire de ces petites scupltures une forme de fossiles de la piété privée avant la naissance des sentiments religieux abstraits. Elles laissent cependant entrevoir que la relation entre le monde des vivants et celui des morts, dramatisée par la transe, est dynamique. Une dynamique sans laquelle l'énergie du monde, conçue comme un fluide qui circule dans toutes les formes vivantes, ne peut être maintenue.

 

1.2. - Le costume de deuilleur tahitien** Costume de deuilleur

De tous les objets océaniens, le costume de deuilleur compte parmi les plus remarquables. Si une vingtaine a été rapportée entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, c'est au Musée de Lille que se découvre un modèle réduit. Cet objet donne une idée assez précise de ces costumes qui se composent, dans leur forme complète d'un capuchon de tapa, d'une couronne, d'une ceinture et d'un manteau de plumes, d'un masque bipartite de nacre, de coquillages et de plumes, d'un pectoral de bois orné de valves d'huître perlière et d'un tablier constitué de milliers de lamelles de nacre et de plusieurs vêtements de tapa dont l'un est décoré de rondelles de coque de noix de coco. Une courte lance munie de dents de requin et des claquettes de nacre complètent cet ensemble complexe.

Ce costume était revêtu à l'occasion de la mort d'un chef ou d'un membre de sa famille au cours d'une cérémonie funéraire -heva tupapa'u -qui succède aux déplorations rituelles où les parents du mort, en général les femmes, se tailladaient le visage et la poitrine avec des dents de requin. Un parent du défunt et/ou un prêtre revêtu du costume prenait la tête d'une procession à travers le district du mort. Il était accompagné d'une bande de jeunes gens presque nus, les neva neva, le corps barbouillé de suie ou peint de motifs rouges et blancs. Armés de massues ou de lances, les neva neva frappent tous ceux qu'ils trouvent sur leur chemin. L'apparition de cet étrange cortège était annoncé par les claquements des castagnettes de nacre et la population prévenue courait se mettre à l'abri pour échapper à cette folie meurtrière. La durée de la cérémonie, qui pouvait être renouvelée à intervalles réguliers pendant plusieurs mois était déterminée, entre autres, par le rang du mort. Cette cérémonie a été interprétée comme pouvant être un moyen de renforcer les liens entre les vivants et les morts ou encore pour venger les offenses faites au défunt au cours de sa vie etc...le costume symbolisant l'esprit du mort et les neva neva incarnant des esprits.

Le costume du deuilleur compte parmi les plus précieux des objets tahitiens. Sa valeur, outre qu'elle est symbolique repose tout autant sur l'extraordinaire travail nécessaire à sa fabrication que sur la rareté des matériaux le composant. Les nacres viennent des îles Tuamotu et s'échangent chacune contre un cochon. La nacre semble avoir été la matière privilégiée associée à la mort. Ce n'est qu'à partir du deuxième voyage de Cook, en 1774, que les Tahitiens ont consenti à s'en séparer. Par la suite, ces costumes sont devenus des symboles de prestige et de puissance, des cadeaux nationaux offerts par un souverain à un autre souverain.

 

1.3. - Les crânes surmodelés en Nouvelle-Bretagne***

Crâne Surmodelé

En Nouvelle-Bretagne comme souvent en Mélanésie, la mort d'une personne est un événement dont on redoute qu'il augure de prochains décès en série. Les divers interdits observés par les proches du défunt -et frappant souvent le contact avec l'eau, le bruit et le travail des jardins-visent notamment à conjurer ce danger et à assurer la continuité de la société. Ils marquent en général le commencement d'un long cycle de cérémonies dont le déroulement, étalé sur plusieurs années, peut englober la réalisation conjointe de rites d'initiation ou de mariage.

A l'époque pré-coloniale, l'exposition des cadavres et les secondes funérailles constituent une pratique répandue chez bon nombre de populations. Quand, le défunt jouit d'un statut élevé, la mise en circulation de ses reliques au sein du groupe de parenté ou de l'unité résidentielle donne lieu à des festivités de vaste ampleur. Il arrive parfois que ce soient les défunts eux-mêmes qui prêtent leurs traits aux vivants.Dans certaines sociétés, les reliques sont portées par les hommes initiés, à l'instar des masques des actuels Tolai. Ces masques se composent de la structure faciale d'un crâne-front et partie avant des deux mâchoires, surmontée d'une touffe de cheveux et recouverte d'un modelage d'argile peinte. Sur le côté interne, un bâtonnet de bois horizontal permet aux danseurs, lors de leurs apparitions publiques, de les maintenir par les dents contre leur visage. La stylisation commune à ces masques-crânes semble témoigner d'une sorte de représentation générique des ancêtres.

Il existait une grande proximité entre le monde des vivants et les esprits des morts dans bon nombre de populations de Nouvelle-Bretagne. Le risque d'être happé dans le monde des morts constituait une peur permanente et ce danger se précisait à chaque fois qu'un décès frappait la société, mettant à mal la séparation entre ces deux mondes. Par l'accomplissement de rites funéraires, ces populations tentaient de restaurer cette séparation et de redéfinir leur place respective ainsi que de se délivrer du deuil.

 

1.4. - Les masques en Nouvelle-Irlande

Masque Nlle Irlande

La Nouvelle-Irlande est connue pour ses sculptures, ses frises et ses masques appelés malanggan et consacrés aux fêtes de souvenir des morts également appelées malanggan. Ces sculptures associent des motifs humains, animaliers (de poisson et d'oiseaux) et végétaux. Elles sont fortement colorées. Les thèmes représentés sont tirés d'histoires mythiques ou d'histoires d'ancêtres. Chaque masque possède ses propres motifs. Ils sont taillés et exposés dans un local particulier. Leur fabrication était prévue longtemps à l'avance et les sculpteurs renouvelaient sans cesse les motifs traditionnels. La fête est à l'initiative d'un ou plusieurs "grands hommes". Mais celle-ci, en raison de son coût, ne se réalise pas juste après le décès d'un des membres de la famille mais plusieurs années après.

 

2. - La mythologie polynésienne : le tiki

Les représentations associées aux divinités ou aux ancêtres pouvaient prendre des formes aussi bien humaines qu'abstraites. Parmi les figures anthropomorphes, celle du tiki marquisien semble avoir influencé les autres archipels. Le motif du tiki est un élément fondamental de l'art marquisien. Il représente un être humain masculin aux formes massives et stylisées avec une grosse tête soudée aux épaules, un corps trapu planté sur des jambes robustes. Le mot tiki a son origine dans le mythe qui fait de lui, Tiki l'ancêtre primordial, fondateur d'une lignée très ancienne et féconde et inventeur des arts du tatouage et de la scupture. Même s'il présente des variations sur un large territoire géographique, des ressemblances formelles permettent de l'identifier.

On retrouve sa représentation sur de nombreux supports. Tatoué sur le corps des hommes, sculpté à l'avant des pirogues, sur les étriers d'échasse, sur les ornements d'oreille marquisiens, sur les tambours et les objets usuels, le tiki est à la fois ornemental et protecteur. La qualité de son exécution peut indiquer le rang social élevé ou la richesse de celui qu'il orne ou du propriétaire de l'objet.

Souvent taillée dans du jade, cette figurine se portait en pendentif par les hommes comme par les femmes. Cet objet précieux se transmettait dans les familles de génération en génération. Le hei-tiki en jade, néphrite et fibres végétales est un objet remarquable par sa qualité d'exécution.

 

3. - Les to'o à Tahiti

To'o

Les to'o figurent parmi les représentations abstraites les plus connues. Ces curieux objets de cordelette tressée et de plumes nommées to'o -littéralement perches, bâtons - étaient les effigies religieuses les plus sacrées à Tahiti et dans les îles de la Société lors de la découverte du Pacifique. Ils représentent le dieu 'Oro, divinité tutélaire de l'île de Ra'iatea, dieu de la guerre placé en position dominante dans les principales cérémonies religieuses de la fin du XVIIIe siècle. Il est devenu une divinité majeure dans le panthéon polynésien et la manière de figurer les entités transcendantes en a été bouleversée.

Ainsi, des objets composites comme les to'o sont venus s'ajouter aux ti'i (tiki). Censés donner à voir le "corps des dieux", ces objets présentent quelques rares traits anthropomorphes : les yeux, les oreilles et parfois le nombril sont esquissés. Ils sont composés d'une enveloppe de fibres de bourre de coco recouvrant une forme en bois ou un bâton. Des plumes rouges sacrées étaient attachées à l'enveloppe de l'effigie par des brins de cordelette tressée : très rares sont les to'o à avoir conservé leurs plumes.  

4. - Les dieux-bâtons des Iles Cook

Dieu-massue Les dieux-bâtons font partie également des figures abstraites les plus connues. La sculpture sur bois dans les îles Cook était pratiquée par des artisans habiles qui fabriquaient des pièces admirablement ouvrées. Ces dieux-bâtons sont des objets aux structures ajourées complexes, sans assemblage ni éléments de fixation séparés. Ils étaient travaillés avec des herminettes de pierre. Un grand nombre de dieux des îles Cook ont été représentés par des sculptures en bois, souvent ornées d'un apport d'autres matériaux, dont les plus importants sont la fibre de coco, les plumes rouges, les coquillages et le tapa. Certains de ces matériaux étaient sacrés.

La plupart de ces sculptures, en particulier celles qui représentent la personne humaine, ont une finalité religieuse ou cérémonielle et étaient porteuses d'une haute signification spirituelle. Les témoignages cependant sont rares, car l'activité missionnaire du début du XIXe siècle a conduit à la destruction d'un grand nombre de ces pièces. Une période d'évangélisation intense débute en 1821, menant la conversion à terme vers 1827. Par conséquent, on peut dater ces sculptures du début du XIXe siècle.

L'adoption de valeurs nouvelles changèrent le mode de vie des populations océaniennes, transformèrent leurs modèles culturels jusqu'à la disparition de ceux inséparables des religions traditionnelles.


* Philippe Peletier
Korwar et son contexte dans la zone Gelwinck. pp 223-226

** Agnès Rotchi
Le costume de deuil tahitien. pp 153-154

*** Monique Jeudy-Balinni
Crânes et cultes funéraires. pp 231-233

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