Tête de Kouros
En 1849, Théodore de Lagrenée, ministre résidant à Athènes, fit don à la ville d'Amiens de la collection d'antiquités qu'il avait réunies lors de son séjour en Grèce (236 objets), dont une tête de kouros taillée dans un beau bloc de Paros, cette île des Cyclades célèbre pour ses carrières. Ces statues masculines, nues, de taille humaine et parfois même au delà, se caractérisent par leur attitude frontale, solennelle, dans laquelle la jambe gauche est généralement portée en avant et les bras plaqués le long du corps. Seule la tête d'un de ces kouroi nous est parvenue. Des nettoyages anciens, des éclats, ont blessé le marbre et pourtant nous avons ici l'image d'un visage masculin qui a conservé toute sa noble beauté : un visage lisse aux grands yeux en amande, un des traits de l' archaïsme grec, ourlés par l'épaisseur des paupières qui, légèrement gonflées donnent un regard noyé dans cet écrin où viennent jouer l'ombre et la lumière, une expression rêveuse et lointaine. Le nez, quasiment mutilé, paraît avoir été assez fin. On devine sur le relief de la pommette la tension de la peau soulignant la délicatesse de l'ossature. La bouche, qui exprime un sourire discret, présente un dessin assez particulier : une lèvre inférieure mince, dont le relief à peine prononcé contraste avec le volume du menton que l'on devine volontaire.
Le visage s'anime, éclairé par un discret sourire qui exprime la joie de vivre éternellement.
Le jour où la sculpture cessera de sourire, l'art classique sera né. Les oreilles sont d'un dessin remarquable. Tous ces détails se fondent dans l'ensemble et donnent l'impression d'une grande habilité. La chevelure est également composée, son traitement, archaïque. Le crane est lisse, ceint d'un bandeau qui retient les boucles, faisant disparaître la nuque sous leur masse. Une rangée de grosses boucles en coquille cerne le front et les tempes, boucles traitées en relief assez fort. Sur la nuque et de chaque côté du cou, la chevelure est divisée en mèches traitées en rubans plats et gaufrés. Elle apparait sous la forme de trois longs rubans ondulés.
L'aspect général de la tête, le modelé à la fois ample et subtil du visage contrastant avec le traitement beaucoup plus ornemental de la chevelure situe l'œuvre vers la fin d'une évolution qui a amené le kouros, depuis son apparition dans la seconde moitié du viie siècle, en une image masculine très stylisée, au rendu graphique des détails anatomiques, vers une réalité et une souplesse plus grande du rendu du corps humain qui, bientôt, se libèrera de la frontalité. Cette œuvre magistrale, véritable chant à la beauté virile, avec ce frémissement de la face, cette joliesse appliquée de la chevelure n'a pu naître que sous le ciseau d'un grand artiste du temps, Anténor peut-être.
Bibl. : Sylvie Drivaud, Les collections archéologiques du Musée de Picardie, Amiens, 1990, pp. 78-81, n° 28.
Noël Mahéo
Conservateur du patrimoine
Avec le concours du service éducatif des musées d'Amiens, Pascale Guy et Françoise Morel
Compléments pédagogiques