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Armes et outils sacrifiés

Anonyme
Milieu du IIIe siècle, début du Ier siècle av. J.-C.
Fer
Sanctuaire gaulois de Gournay-sur-Aronde
Compiègne
Armes et outils sacrifiés
© Benoit Roland, Musée Antoine Vivenel, Compiègne

Le site de Gournay-sur-Aronde se situe en territoire bellovaque, à la frontière avec les Ambiens, les Viromandiens et les Suessions. Aménagé vers la moitié du IIIe siècle av. J.-C., cet enclos sacré est abandonné entre 100 et 60 av. J.-C., peu avant la conquête des Gaules par Jules César. L'ensemble des structures est alors volontairement détruit et nettoyé. Sous le règne de l'empereur Auguste, dans une Gaule tout juste pacifiée, un habitat fortifié, incluant le sanctuaire, occupe le site sur une centaine d'hectares. Tôt abandonné au Ier siècle après. J.-C., il sera utilisé une dernière fois à la fin de l'Antiquité.

Le sanctuaire celte affecte la forme d'un rectangle régulier, aux angles arrondis, de 45 m sur 38 m. Il est entouré d'un fossé, large de 2,50 m et profond d'environ 2 m, lui même doublé par la suite d'une palissade de deux mètres de haut et d'un second fossé plus petit. C'est dans le premier de ces fossés que furent découvertes, rejetées progressivement entre le milieu du iiie et le début du Ier siècle avant notre ère, quelques deux mille armes de fer, près de trois mille ossements animaux, voire humains, proportion considérable, quoiqu'il existe des exemples de semblables dépôts, parfois plus riches encore, dans d'autres sanctuaires picards de l'époque gauloise, tel Ribemont-sur-Ancre (Somme) où furent découverts de véritables ossuaires.


L'intérieur de l'enclos sacré voit se succéder dans le temps plusieurs séries de structures vouées au culte, surtout aux sacrifices. A l'origine, neuf fosses circulaires entourent une fosse centrale ovale de trois mètres de long. Orientées à l'est, elles sont toutes cuvelées et munies d'un couvercle. Les sacrifices avaient lieu à cet endroit, près d'un poteau marquant le centre du sanctuaire. Les animaux domestiques immolés, ovins, porcs ou chiens, étaient consommés, mais les bœufs et les chevaux pourrissaient sur place. Puis, leurs dépouilles étaient provisoirement entreposées dans ces fosses avant de rejoindre en partie le grand fossé. Les têtes de bovidés quant à elles étaient vraisemblablement exposées à l'entrée du sanctuaire. Les armes subissaient le même sort, elles aussi volontairement détruites après avoir été un temps parfois assez long exposées dans ou à l'entrée du sanctuaire, peut-être sous forme de trophées rassemblant épées, boucliers et lances.
Ce n'est qu'au Ier siècle av. J.-C., alors que les rites cultuels semblent s'être transformés, qu'un temple, à fondation de pierre et murs de torchis, remplace les constructions de bois. De nombreuses panoplies d'armes y sont alors exposées. La porte du sanctuaire reçoit, elle aussi, un traitement particulier. Un fossé isolé, franchi par une passerelle de bois, en protège l'accès. Deux amas d'armes et de crânes de bœufs s'élèvent de part et d'autre de cette entrée, au-dessus de laquelle sont vraisemblablement cloués des crânes humains.
Il est difficile d'interpréter l'ensemble de ces vestiges, dégradés par le temps et les hommes : sans doute faut-il y voir une part des butins des batailles remportées par les Belges, peuple réputé particulièrement belliqueux; peut-être est-ce aussi une part de leurs propres armes et bétails qui étaient ainsi dévolue au culte. Quant aux ossements humains, à la fois masculins et féminins, il pourrait s'agir de vestiges d'ossuaires, ou des résidus de traitements particuliers réservés aux corps de certains défunts, voire de sacrifices, plus difficiles à prouver à Gournay qu'en d'autres sites gaulois. Nous ignorons le nom des divinités à l'adoration desquelles était dévolu cet espace sacré. Sans doute, les offrandes d'armes, les sacrifices animaux et peut-être d'êtres humains, étaient-ils voués aux puissances du monde infernal ou de la guerre.

Le sanctuaire de Gournay-sur-Aronde offre l'ensemble le plus complet des différents types d'armes fabriqués à cette époque dans toute l'Europe celtique, de l'Atlantique aux Balkans.
L'épée demeure l'élément principal de la panoplie du guerrier celte. Epées, fourreaux et chaînes de suspension, d'une parfaite maîtrise technique, ont été retrouvés à plusieurs centaines d'exemplaires. Cet ensemble forme la collection la plus importante et la plus variée d'Europe pour l'époque dite de La Tène moyenne (IIIe-IIe siècles av. J.-C.) du nom du site archéologique suisse où furent découverts les objets qui permirent au XIXe siècle de reconnaître ce stade particulier d'évolution du monde celte.
L'umbo est un élément métallique en forme de bosse qui protège l'extérieur de la partie centrale du bouclier, à l'endroit même où se place la main. Tous ceux découverts à Gournay sont fabriqués d'une seule pièce et sont dits « umbo à ailettes », parties latérales de l'objet qui permettent de bien le fixer au plat du bouclier au moyen de clous et de rivets. Cette innovation technique assure à cette arme une plus grande solidité et donc une plus grande maniabilité. Le manipule est un élément métallique de renfort de la poignée de bois du bouclier, servant à mieux fixer l'ensemble à l'umbo. Cette petite plaque ajourée affecte une forme particulièrement décorative, comparable aux ornements de certains fourreaux d'épée. Le bouclier celtique, plat et de forme ovale, d'une longueur généralement supérieure à un mètre, était composé de planches de bois dur tel le chêne, ou de bois léger tel le tilleul ou le bouleau, voire d'un treillis de lattes minces, selon l'usage guerrier auquel il était destiné. Les rivets de fixation de l'umbo ont la particularité décorative d'être recouverts d' émail rouge et rappellent que, sans doute, les boucliers pouvaient être peints de vives couleurs. Les lances sont les armes les plus employées par tous les peuples de l'Antiquité. Les lances celtes parfois d'assez grande taille, environ deux mètres cinquante, étaient pourvues d'une pointe de fer acérée.et d'un talon à l'autre extrémité, faisant contrepoids lors du maniement de l'arme et permettant de la ficher efficacement en terre. Des outils en fer ont été également retrouvés dans ce contexte archéologique, portant des traces de destructions volontaires plus ou moins violentes : soc de charrue, coutres (fers tranchant fixé à l'avant du soc de la charrue pour mieux fendre la terre), serpettes, ainsi que des éléments de harnais et des fibules.

Les têtes de bœuf, appelées Bucranes, sacrifiées dans le sanctuaire, étaient dévolues à un usage différent des corps. La dépouille de l'animal, non consommée, pourrissait entièrement dans les fosses au centre de l'espace sacré. Puis, les ossements étaient rejetés dans le fossé délimitant cet espace alors que les Bucranes étaient exposés à l'entrée, comme une partie des trophées d'armes et sans doute des crânes humains. Altérés par le temps, ils étaient enfin volontairement brisés avant de rejoindre le fossé.
Les animaux étaient abattus d'un coup de hache à l'occiput; les traces de coup aux fronts des crânes de bœuf sont postérieurs à leur exposition à l'air libre et précèdent leur rejet dans le fossé, une fois abîmés par les intempéries. Les chevaux, sacrifiés en moins grand nombre que les bœufs, n'étaient pas non plus consommés mais pourrissaient également dans les fosses centrales avant que leurs ossements soient entièrement rejetés dans le fossé. Peut-être ces animaux avaient-ils auparavant servi de montures aux guerriers sur le champ de bataille et voués ensuite aux divinités du sanctuaire en même temps que les armes gagnées au combat ?

Sans doute les ossements humains, tant d'hommes que de femmes, retrouvés en petit nombre dans le fossé pourraient témoigner de la présence dans le sanctuaire d'ossuaires rassemblant les os par type après pourrissement des chairs. Par ailleurs, il est probable que des têtes coupées étaient fixées à l'entrée de l'espace sacré, usage caractéristique du monde celte.

Christine Amiard
Chargée du service des publics

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